Les lieux d’accueil et l’exigence du particulier |
Réflexion sur le lien social
et la psychanalyse dans les lieux d’accueil
Gilbert
LINDENLAUF
Nous nous référons à une pratique en lieu d’accueil pour les
enfants de 0 à 3 ans accompagnés d’un parent ou d’une personne qui en a la
charge intitulé « Lieu de parole, de rencontre, de détente ». Les fondateurs
de ce lieu s’inspirent de la « Maison Verte » fondée par Françoise
Dolto, et dirons nous, de l’enseignement de celle-ci, contemporain de la
première élaboration de Jacques Lacan, qui dans son effort pour fonder l’ordre
symbolique réfère celui-ci à la parole et à l’intersubjectivité, le
différentiant de l’imaginaire.
Les références théoriques, le plus souvent implicites,
structurant le travail des « accueillants » méconnaissent
généralement l’enseignement ultérieur de J. Lacan qui dès 1957 (« l’Instance
de la lettre dans l’Ics ») fait du signifiant
inconscient non plus une parole mais une lettre structurant le corps et la
parole, parole qui dès lors ne va pas sans un reste, l’objet métonymique qui
deviendra ultérieurement l’objet petit a.
Nous voudrions, à partir de cet enseignement, refaire une
lecture de la pratique des lieux d’accueils dans certains de ces aspects,
notamment par rapport à ce qui apparaît comme une des « règles
fondamentales » de ces lieux. Nous voudrions aussi tenter une lecture de
l’acte qui s’y tient ou pourrait s’y tenir à la lumière des « 4
discours » élaborés par J. Lacan. Chemin faisant, nous illustrerons notre
propos de 2 cas cliniques.
Unr
règle est énoncée ainsi lors de l’arrivée d’un enfant ; « tout le
temps que tu sera ici, ta mère y restera aussi »
ou avec la variante : « ici, ta mère ne peut pas partir sans
toi »
Pour les créateurs du lieu, cette règle est fondatrice du lieu, elle en
justifie par elle même la raison d’être.
Ceci
part du constat, auquel nous pouvons souscrire, de la dépendance du petit
d’homme vis à vis du désir de l’Autre parental ; c’est de l’autre que lui
viennent les signifiants qui structurent son corps et sa parole, signifiants
qu’il aura à assumer en son nom.
A
quelle(s) condition(s) l’énoncé de cette règle est compatible avec ce que nous
enseigne la psychanalyse que c’est au travers des allées et venues de sa mère,
son apparition-disparition que le sujet se constituera dans le
« fort-da » vis à vis du tiers terme qu’est le phallus, venant signer
une déperdition de jouissance ?
A condition ,nous semble-t-il que l’énoncé de cette règle ne
vienne pas en position d’idéal pour celui qui l’énonce, ce qui viendrait ainsi
masquer la question de la jouissance et de la perte. Ce n’est ni
« bien », ni « mieux » de venir dans un lieu d’accueil.
A cet
égard, la tentation de promouvoir au travers de ces lieux une cité nouvelle
pour l’enfant, comme on peut l’entendre dans le discours de Françoise Dolto et
de nombre de créateurs et d’acteurs de ces lieux peut masquer cette question.
En
effet, l’énoncé d’une règle fonde un certain type de lien social pour les
enfants et les parents dans l’espace du lieu d’accueil.
Tout
lien social dans ce qui fait groupe, société, est selon Freud, fondé de la
fiction nécessaire du meurtre du père, c’est à dire le père symbolique.
Cependant le père symbolique s’ombilique du père réel
receleur de la jouissance - « le père de la horde », selon Freud –
« l’au-moins-un » qui n’est pas soumis à la castration, père du réel
selon Lacan.
Tout lien social comporte donc un reste hors signifiant qui
fait retour selon différentes modalités. L’enfant est propre à supporter ce
reste.
L’ « accueillant »
a nous semble-t-il à situer l’existence de ces lieux, que des parents et des
enfants y viennent, à la fois comme le symptôme d’un « malaise dans la
civilisation » et d’un malaise personnel, soit d’un certain discord du
père symbolique au père réel.
Soit ces lieux se proposent d’être uniquement un nouveau type
de lien social pour tenter d’apaiser la question de la jouissance : c’est
alors un « lieu de détente ». Soit ils peuvent être aussi
l’occasion d’une rencontre qui pourra éventuellement réaménager la question de
la jouissance au manque pour quelqu’un(e).
C’est poser la question de ce qui permettrait le passage du
discours du Maître, ce qui fait groupe en relevant, aux autres discours nommés
par Lacan discours de l’hystérique et discours de l’analyste.
Cela
implique une lecture des effets dans la structure que chaque discours comporte
avec lui, et notamment ce qui objecte à la rotation d’un discours vers le
suivant.
Examinons le discours du Maître, dont se soutien le groupe,
et que Lacan écrit : S1 → S2
$ a
Dans ce discours, le lien social
se soutient de la répression de la satisfaction pulsionnelle, ou comme Lacan
nous l’enseigne dans le séminaire « L’Envers de le psychanalyse »,
d’une déperdition de jouissance dans le passage du S1 au S2. « …en
s’émettant vers les moyens de la jouissance qui sont ce qui s’appelle le savoir
(S2), le signifiant-Maître (S1) détermine la castration. » . (P 101)
La jouissance ne peut plus être atteinte
que par un reste : « a », que Lacan nomme dans ce séminaire
« plus-de-jouir » dans le discours du Maître.
Il marque sa parenté avec la plus-value de Marx, soit la différence entre
valeur d’échange et coût de production.
Nous
pensons que l’enfant entre dans le lien social du lieu d’accueil à titre de
valeur d’échange, soutenant ainsi le narcissisme parental, masquant ce qu’il
est comme objet plus-de-jouir.
C’est
ainsi que nous entendons les affirmations de bien-fondé quant au
fonctionnement, voire la satisfaction, que dit trouver la majorité des parents
dans ces lieux.
La règle de fonctionnement des lieux d’accueil s’appuierait ainsi d’un point de
méconnaissance dans la structure : recouvrement de « a » par i
(a), image narcissique masquant et incluant le plus-de-jouir.
Un
sujet-ici un parent- pâtit d’un signifiant S1, retour du refoulé, à partir d’un
signifiant S2 en fonction d’après-coup : moment de vacillement du discours
du Maître.
La venue au lieu d’accueil peut avoir pour effet de colmater ce qui
vacille : l’énoncé de la règle, qui va faire lien social ici, que nous
situerions en S2, corrélatif du père mort, s’accompagne du non-dit du fantasme
où l’enfant se trouve pris comme objet, version singulière du rapport à la jouissance
pendant à l’universel de la castration.
Nous situerions alors l’enfant sous la barre, comme « a »
plus-de-jouir, à la place dite par Lacan de la production. Le côté droit du
mathème S2. du discours du
Maître figurerait alors ce qui fait lien social mais aussi bien jouissance
aveugle où l’enfant se trouve pris.
a
Les choses peuvent en rester là, et elles en restent souvent
là. Elles ne peuvent qu’en rester là si l’accueillant idéalise de quelque
manière le fonctionnement du lieu d’accueil.
C’est d’une demande de savoir (S2) qui peut prendre la forme
d’un conseil, ou autre, à partir de ce qui divise le parent en tant que sujet
que peut s’effectuer la rotation vers le discours suivant, discours de
l’hystérique, que Lacan écrit $ → S1
a S2
C’est souvent l’objection de l’enfant à entrer dans un certain lien social, en crèche ou
halte-garderie par exemple, qui détermine l’appel au S2 supporté alors par un
accueillant.
Nous illustrerons par un cas clinique le discours de
l’hystérique, sa valeur révélante quant à ce que
cache le discours du Maître, en ce qu’il indique la satisfaction pulsionnelle
en jeu autour de l’enfant sans habillage du « a » par i (a), mais
aussi sa limite, son point d ‘arrêt quant au passage vers le discours
suivant.
Madame X. est mère d’un garçon de 14 mois, Damien. Les
autres parents partis du fait de l’heure avancée, elle formule un grief :
venue précédemment un autre jour ( ce ne sont pas les
même accueillants qui assurent les différents jours ) elle dénonce avec
véhémence la règle qui lui aurait été ainsi formulée lors de son arrivée :
« Ici, vous n’avez pas le droit de laisser votre enfant » en nous
disant : « Mais c’est de la morale ! » Ce qu’elle appelle
une « rigidité » ne lui a pas donné envie de poser des questions,
qu’elle finit par formuler nous trouvant « différents » : elle
est épuisée, son fils touche continuellement à tout, et se trouve désemparée
car « lorsqu’elle lui formule un interdit il la regarde, rit et continue ». Elle se refuse à lui
crier dessus ou à le taper , car « elle s‘est
toujours promise lorsqu’elle aurait un enfant de ne jamais en venir là ».
Ses parents « n’étaient pas attentif envers elle, lui
criaient dessus et la tapaient ». Notre écoute permet un
déplacement de la question de son fils à ses propres parents, et surtout elle
réalise qu’elle voudrait de son fils un renoncement sans heurts, sans perte
pour lui, ni pour elle, comme la suite le montrera. Tout « non »
adressé à son fils est pour elle synonyme d’un dommage. En termes lacaniens,
nous dirions que le « non » est pour elle synonyme d’une frustration,
refus du don d ‘amour.
Pendant qu’elle parle, Damien va dénicher un parapluie avec
lequel il joue. Elle s’interrompt alors d’un : « Regardez ce que je
vous disais ! », s’empare de son enfant, et le colle sans un mot
contre son sein pour l’allaiter. Selon le bon mot d’une collègue, elle lui fais ainsi la morale !
L’effet de sidération produit sur nous empêcha de marquer
d’une parole la jouissance en jeu et de produire un effet de relance.
La façon dont cette mère a entendu l’énoncé de la règle a
fait écho à un énoncé de surmoi en elle : « Ne le laisse
pas ! » dont la parenté avec la jouissance pulsionnelle est ici
patente sous la forme d’un : « Etre bouffée ! ».
Ce cas met en lumière que l’énoncé de la règle de
fonctionnement est d’entrée pris de jeu dans la problématique maternelle ou
parentale, et à ce titre devient la part insue qui va
conditionner les paroles ou l’absence de paroles adressées aux accueillants.
L’énoncé de la règle du lieu d ‘accueil prend valeur
selon le fantasme prévalent d’un parent, fantasme dans lequel l’enfant est pris
de structure.
Si dans le discours de l’hystérique, c’est le
signifiant-Maître (S1) qui est interrogé en place d’Autre (dans ce cas,
l’antécédence familiale ), c’est aussi le Maître du
symptôme : c’est un point de méprise possible pour l’accueillant puisque
l’enfant peut très bien continuer à assurer l’être du sujet parent, en bas à
gauche dans le mathème du discours de l’hystérique, en « a ».
L’élucubration du roman familial laisse
la place de « a » inchangée.
Le discours de l’analyste écrit par Lacan a → $
est-t-il possible dans ses lieux d’accueil ?
S2 S1
Nous illustrerons cette question d’un second cas clinique
qui répondrait par l’affirmative, permettant à un enfant de se déprendre d’une
certaine place d’objet.
Beaudouin a 2 ans ½, sa mère est
ravie d’être dans un « lieu d’écoute ».
Elle manifeste dans ce lieu, sans rien en dire, une certaine inquiétude face aux prouesses motrices de son fils qui
se laisse glisser ou tomber, et que nous ponctuons d’un : « Ta
mère a peur pour toi ».
Elle vient au lieu d’accueil par rapport à la gêne qu’elle éprouve vis-à-vis de
la crèche fréquentée par son fils, où dit-elle, « elle ne peut rien
savoir ».
La gêne c’est « par exemple qu’ arrivant à
l’improviste, une enfant avait déféqué dans sa culotte, l’enfant s’est
retrouvée nue, d’autres enfants autour à la regarder, la puéricultrice
disant : Comme elle est sale et dégoûtante ! »
Elle associe : avant Beaudouin ne pouvait déféquer qu’en tenant sa mère.
Maintenant il se retient et fait dans sa culotte à la maison.
Elle dit ne plus savoir quoi faire, qu’il aille aux toilettes ou sur le pot, ni
où mettre le pot.
Nous lui demandons si Beaudouin exprime une préférence, à
quoi elle répond qu’il amène son pot dans la cuisine.
Nous lui demandons « Cela vous dérange-t-il que ce soit au vu et au su de
tous ? ». Elle répond par une dénégation.
Beaudouin a continué ses prouesses près de sa mère et de nous pendant ce
dialogue.
Elle lui attrape alors une jambe, à la fois par jeu et pour l’empêcher de
tomber.
Nous disons alors à Beaudouin : « Ta mère te retient ». Il
répond, s’adressant à sa mère : « Maman, je veux que tu me
lâches ! ». Et s’en va alors courir dans tout l’espace du lieu
d’accueil.
Nous dirions qu’au travers cette séquence Beaudouin s’est
symbolisé comme objet perdu pour sa mère à la place de l’objet scopique-anal retenu qu’il était auparavant
Nous pensons que ce qui a été opératoire est d’avoir entendu, à son niveau, ce
qui était problématique du sexuel chez cette femme : être regardée dans sa
nudité dégoûtante auquelle fait écran son fils
« beau » retenu pour le délice de son œil.
Du côté de l’adulte, l’intervention de l’accueillant
entraîne un processus de rectification subjective : passage du « on ne peut rien savoir »
attribué au monde, à un : « Voilà ce que tu sais et qui te
divise », produisant ensuite une formation de l’Inconscient : elle se
saisit de la jambe de son enfant.
Dans ce processus côté adulte, « être vue nue » reste
inentamé et pourrait même se faire plus insistant, mais permet à l’enfant de se
faire interprétant, se déprenant d’une certaine place, le jeu des signifiants
permettant un déplacement de jouissance.
L’espace d’un instant, l’accueillant n’a-t-il pas été pour l’enfant en place de supposé savoir, et
en place de semblant d’objet a par sa phrase « Ta mère te
retient » déterminant la réponse du sujet à l’Autre non barré.
S2
La jouissance est déplacée par le « mi-dire »,
allusif. Cette séquence vérifie la phrase de Lacan :
« L’interprétation n’est pas faîte
pour être comprise mais pour produire des vagues ».
Nous ajouterions ici : des vagues sur l’inertie de la mère jouissante.
Cette séquence va à contrario de se qui se dit, et s’écrit,
souvent, des lieux d’accueil parents-enfants :
- les promoteurs des lieux d’accueils nous semblent avoir
souvent une conception et une quête de la parole qui résorberait le tout de la
jouissance. Façon de gommer la question
du fantasme et de nier l’inconscient freudien.
De là découle une conception, qui « privilégiant
l’enfant » veut qu’on lui rende compte de ce qu’un parent dit de lui pour
éviter le non-dit.
Peut-être vaudrait-t-il mieux entendre ce qui ne peut se dire qu’à travers lui,
cet « à travers lui » désignant le support d’être muet qu’il est pour
l’un ou l’autre de ses parents, cet « à travers lui » devant faire
retour dans le signifiant pour produire une coupure.
Tâche éthique de l’accueillant ? De l’accueillant
psychanalyste certainement !
- L’analyste en lieu d’accueil n’a pas à
« renoncer » à son acte, mais à savoir de quoi il se fonde, donc d’en
connaître les limites qui s’indiquent ici clairement comme limite de discours.
Nous espérons en avoir témoigné.
Bibliographie :
« l’Envers de la psychanalyse »
Séminaire ХVII de J. Lacan